A la rencontre de ces enfants qui nous enseignent

Cédric Blanc se penche sur l’enseignement spécialisé et la reconnaissance des différences.

La pédagogie spécialisée est une facette de l’enseignement imaginée pour répondre aux besoins des élèves en difficulté d’apprentissage. Mais en quoi est-elle spéciale au juste? La terminologie retenue pour nommer cette particularité de l’acte d’enseigner a quelque chose de paradoxal.

Dans notre société compétitive, chacun a à cœur de se démarquer et de revendiquer ce qui le distingue des autres. Souvent pour se faire remarquer et tenter de réussir aussi. Tout un chacun a une fois ou l’autre recherché ce qui fait de lui sa particularité et sa singularité parmi les autres. C’est bien ce qui nous différencie qui fait notre spécialité. Chacun est différent et n’a pas à le devenir. Nos différences nous rassemblent en quelque sorte. Elles font aussi nos ressemblances…

«Le film «À l’école des philosophes» montre que nous avons besoin d’être informés»

Accueillir un jeune en formation spécialisée ne va pas autant de soi. L’accès à une pédagogie spéciale est vécu comme la séparation d’un idéal et non comme une démarcation positive. Paradoxe. Les jeunes que nous accueillons me l’affirment régulièrement avec force. Un sentiment parfois de honte les envahit à l’idée de ne plus être partie prenante de la normalité que la société définit pour son école. Le spécial n’est plus une force mais un obstacle.

Faut-il pour autant imaginer l’élimination des spécialités? Ces mêmes jeunes reconnaissent souvent après leur passage dans une école spécialisée le bénéfice pour leurs progrès et leur estime d’eux-mêmes. Reste la souffrance du regard stigmatisant de l’extérieur et le sentiment de ne plus appartenir. Une société qui se veut inclusive doit miser sur l’école et l’éducation pour faire évoluer ce paradoxe. Reconnaître les différences, c’est leur donner leurs places. Dans une école décloisonnée, ordinaire et spécialisée, dans un même système.

Un film nécessaire

L’accueil réservé au film «À l’école des philosophes», de Fernand Melgar, montre que nous avons besoin d’être informés. Pour (mieux) concrétiser notre représentation de ces enfants spéciaux. Unanimement, lors de discussions nourries et intenses, salle après salle, un public multigénérationnel a reconnu le potentiel de ces enfants et l’appel des parents. Pour favoriser le vivre-ensemble plébiscité dans notre mode de vie actuel, il a appelé à une indispensable prise de conscience sans étiquetage et formatage excessifs.

Du chemin reste pourtant à parcourir pour que cette reconnaissance soit effective au-delà de l’effet médiatique du film. L’école peut en être le guide en encourageant le décloisonnement de ses territoires et la mutualisation des compétences. Sans totalement fondre ses spécialités qui font sa richesse. Dans cette perspective, la pédagogie spécialisée ne serait-elle pas simplement une vision humaniste de l’école dans laquelle les enfants nous enseignent les premiers?

Ces enfants et ces jeunes sont les garants de valeurs indispensables au bien commun. Sachons les voir et les entendre à la manière des 12 000 spectateurs qui ont déjà assisté à leur leçon de philosophie. Pour un système scolaire performant au service des particularités. Pour une société inclusive et bienveillante. (24 heures, 3 octobre 2018)